Fraîchement débarqué dans les Corbières, je me mis en quête de vignes. J'étais alors en formation. Je commençais à travailler comme salarié au domaine de Roquenégade. J'ai connu beaucoup de collègues qui ne se sont jamais installés : il cherchent toujours le mouton à cinq pattes. Un cadre magnifique, des vignes en bon état, et un prix d'achat... canon. Tout ceci n'existe pas. Alors on fait contre mauvaise fortune bon coeur. Et on s'accroche. On apprend la patience.

J'ai acheté des vignes de famille sur Pradelles-en-Val. Cette trame familiale est en train de disparaître, mais il y a quinze ans, tout le monde avait des vignes dans cette campagne viticole reculée qu'est le Val de Dagne. Les grands-pères et grands-mères, oncles, tantes, cousins cousines, maris et femmes. Le plus vaillant ou celui qui n'avait pas « fait les études », comme on disait, se chargeait d'entretenir ce patrimoine viticole, et assurait les apports à la cave coopérative du village. C'était l'époque de la cave de Montlaur et de Serviès-en-Val. Moi, j'avais fait les études, mais pas les bonnes ! Un début de thèse de sociologie urbaine à Nanterre et un diplôme de professeur des écoles en Seine et Marne sont assez exotiques. Mais rien n'est inutile. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

J'ai jeté mon dévolu sur 5 hectares à l'époque. Je me suis installé sans aides, faisant le deuil de la dotation d'installation jeunes agriculteurs. J'ai commencé comme coopérateur, pour me faire la main. Et quand la cave a été construite, je me suis lancé, progressivement.

Depuis quinze ans je remets les choses en place : tailler les ceps à ma main (c'est à dire redresser, rabaisser, complanter). Les gobelets traditionnels ont été réalignés. Les syrahs sont menées en cordon de Royat. Tout est en taille courte. J'en ai rempli des remorques de bois.

Les sols étaient en béton, lunaires. Sur une syrah très pentue, je me battais tous les ans avec une érosion insoluble... jusqu'à ce que je sème des engrais verts. En plus cette parcelle était ravagée par l'araignée rouge. J'ai abandonné les produits de synthèse. Depuis 2007 je me suis engagé dans une démarche en agriculture biologique. Je ne me voyais pas arpenter les vignes déguisé en cosmonaute et conduire le tracteur en habits d'homme grenouille. Et peu à peu, les sols se sont couverts de folle avoine, de coquelicots, de silènes, de brome...

J'ai récupéré des décavaillonneuses, des Egretier mécaniques. Mais j'ai trouvé mieux depuis : des Morgnieux qui se replient quand on lève la charrue. Beaucoup plus pratique ! On appelle ça des « automatiques » (avant les automatiques, il fallait faire suivre quelqu'un derrière pour effacer manuellement la charrue). Elles s'effacent toutes seules devant le cep quand on laboure le rang (le cavaillon). Mais tout seul, le travail reste assez sportif. La vigilance est de mise. De temps en temps, les ceps volent ! Je laboure le moins possible, tard. Je laisse les graminées ressemer. Le rang est surlevé (je ramène la terre au milieu du rang avec des charrues), ce qui permet d'enfouir l'herbe et d'alléger les terres. C'est un désherbage mécanique. Ensuite je rejette la terre (en inversant les charrues). Enfin je passe une dernière fois pour remettre le rang bien à plat. 

Pour les traitements phytosanitaires, j'utilise uniquement du soufre et du cuivre (bouillie bordelaise). Je n'ai recours à aucun insecticide, fût-il biologique.